CHINE (L’Empire du Milieu) - Cinéma

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CHINE (L’Empire du Milieu) - Cinéma

Nourri aux sources étrangères, héritier d’un art né hors des frontières où lui-même s’épanouit, le cinéma chinois est à l’image de la société chinoise elle-même. Celle-ci, alternativement, s’ouvre sur l’extérieur ou se replie sur elle-même. Le cinéma, incontestablement, subit, au cours de son histoire, diverses influences étrangères souvent difficiles à déceler avec netteté, bien qu’à certaines époques celles des cinémas américain puis soviétique soient évidentes. Cependant, il reste en permanence à la recherche d’une identité qui lui soit propre.

La difficile pénétration d’une industrie importée

Quel pays aurait pu être mieux préparé à recevoir le cinématographe que celui des «ombres chinoises»? Aussi bien le désigne-t-on en Chine en forgeant le mot dianying , qui signifie «ombres électriques». Le premier film projeté dans le pays l’est à Shanghai le 11 août 1896. Le grand port, ouvert à toutes les influences étrangères – élément déterminant –, n’est donc guère en retard sur Paris. Le retard se creusera davantage au cours des années suivantes: il faut, en effet, attendre 1905 pour que soit réalisé le premier film chinois, d’une durée de quinze minutes, par des photographes de la capitale: Le Mont Tingkiun , court extrait d’opéra de Pékin. Le premier film national de long métrage ne sera tourné que huit années plus tard.

Y eut-il engouement populaire pour ces «jeux d’ombres occidentaux» comme on appela d’abord ce nouveau type de spectacle, le plus souvent importé de France grâce à l’importante position occupée par notre pays au sein d’une des plus puissantes concessions étrangères? Toujours est-il que de nombreuses projections suivirent celle du 11 août 1896. Onze mois plus tard, un homme d’affaires américain débarquait à son tour à Shanghai, ses bagages pleins de films qu’il projeta à prix d’or dans les maisons de thé. L’affaire se révélant rentable, il fut suivi de nombreux autres étrangers dont le plus notable, l’Espagnol A. Ramos, s’assura bientôt une place prépondérante sur le marché: ne se contentant plus des maisons de thé, il projeta ses films dans une vaste patinoire, puis loua une salle spécialement réservée à cet usage, attirant la foule à grand renfort de trompes, de gongs et de tambours, ouvrant enfin, en 1908, la première salle de cinéma proprement dite.

Sans doute faut-il attribuer à l’état semi-colonial qui était alors celui de la Chine l’intervention tardive de nationaux sur le marché du film. Le premier Chinois à y faire irruption fut un certain Lin Zhusan, à son retour d’Europe et d’Amérique, d’où il rapportait des appareils de projection et des films qu’il commença à montrer en 1903 à Pékin. Il fallut pourtant vaincre une certaine méfiance officielle née de la répétition d’incidents fâcheux.

Bien des raisons expliquent donc la lenteur à la fois de l’expansion du réseau de distribution, demeuré pendant longtemps entre les mains des étrangers, et du développement d’une industrie cinématographique nationale. Quand est tourné, en 1913, le premier film chinois de long métrage, Un couple bien assorti , c’est grâce aux capitaux de deux Américains qui venaient de racheter la firme Asia Film Company, transférée l’année précédente de Hong Kong à Shanghai. En outre, toute la pellicule est importée; la jeune industrie cinématographique chinoise sera ainsi privée de pellicule allemande dans les deux premières années de la Première Guerre mondiale; elle souffrira plus tard de deux autres crises d’approvisionnement en ce domaine: après 1937 à cause du blocus japonais, et à partir de 1960, après la rupture avec l’Union soviétique, jusqu’à ce qu’elle se dote à son tour d’usines lui permettant de faire face à ses besoins.

Appât du gain? Effet de la pression de la demande populaire? Intérêt réel pour une nouvelle forme d’art? L’importante maison d’édition shanghaienne Commercial Press crée en 1917 un secteur cinéma ; les Américains, déjà, vendent leurs «surplus» et elle achète à l’un d’eux, qui habite Nankin, un matériel d’occasion qui va lui permettre de réaliser un certain nombre de courts métrages, documentaires et films d’actualités, voire quelques films d’opéra, en tout une soixantaine de productions, jusqu’à ce qu’elle renonce au cinéma en 1927. Elle avait néanmoins fait venir des États-Unis des spécialistes pour former dans ses laboratoires ses propres techniciens. Déjà quelques Chinois sont envoyés à Hollywood pour y parfaire leur formation professionnelle; dans d’autres pays étrangers, les fameux étudiants-ouvriers chinois semblent être assez nombreux à acquérir une telle formation, comme en témoignent les demandes adressées en France par une quinzaine d’entre eux entre 1921 et 1925 aux établissements Pathé, Gaumont, L. Aubert, Aylmer, etc. À la même époque, les revues françaises Mon ciné et Ciné miroir font état à la fois de la constitution aux États-Unis d’«une puissante société au capital de 5 millions de dollars pour l’exploitation du film sur le marché chinois» et du projet d’un Chinois «d’établir en Chine un centre de production cinématographique qui serait établi sur le modèle de Hollywood». Les écrans du pays seront ainsi, jusqu’au début des années cinquante, l’enjeu des convoitises étrangères, surtout américaines, et de capitalistes nationaux conscients des avantages financiers présentés par cet immense marché. Toutefois, le film reste essentiellement une marchandise d’importation durant une longue période en raison des moyens réduits dont disposent les firmes chinoises. Néanmoins, quelque trois cents films seront tournés en Chine avant 1931. L’industrie chinoise du film s’appuie alors sur treize centres urbains; c’est à Shanghai qu’elle est le plus active: dès 1923, deux metteurs en scène y ont créé la société de production l’Étoile avec les fonds de Chinois résidant aux États-Unis et, en 1926, les différentes compagnies cinématographiques de la ville réalisent environ soixante-dix films, chiffre qui restera longtemps inégalé; c’est encore à Shanghai qu’en cette même dernière année naît, de la passion des frères Wan, encore actifs aujourd’hui, le dessin animé chinois, dont la première production ne dépasse pas 300 mètres. Malgré leur Danse des chameaux , premier dessin animé chinois «sonore» (avec accompagnement musical sur disque, expérience répétée la même année pour le film de fiction La Cantatrice Pivoine rouge ), en 1930, les Wan devront attendre 1941 pour réaliser le premier long métrage d’animation, La Princesse à l’éventail de fer , puis, à peine franchi le stade artisanal, la guerre et la crise les réduisent à une quasi-inactivité durant plus de dix ans.

Outre les problèmes de financement, le plus difficile, pour le cinéma chinois, fut d’échapper aux influences étrangères et de devenir un art véritablement national. La technique et l’équipement venaient de l’extérieur. Restaient les sujets. Les contes du folklore chinois, la littérature classique, le riche répertoire théâtral constituaient une inépuisable source d’inspiration; pourtant, elle fut pendant longtemps mal exploitée, sacrifiée au profit de thèmes étrangers: intrigues policières, mélos, feuilletons à l’eau de rose; il y eut un Charlot, un Laurel et un Hardy chinois...

Solution de facilité? Peut-être. Prudence? Sans aucun doute. Les bailleurs de fonds et les créateurs devaient tenir compte d’une conjoncture qui laissait peu de place au libre développement de l’inspiration non conformiste. Le Guomindang se méfiait d’un art presque naturellement subversif. Il avait interdit à Shanghai Les Bateliers de la Volga de Cecil B. De Mille, susceptible d’inciter les Chinois à des troubles révolutionnaires; il s’opposa au tournage en Chine de Terre chinoise , d’après le roman de Pearl Buck, «parce qu’il représentait la classe paysanne chinoise et non les intellectuels». Ces derniers et la bourgeoisie urbaine étaient les personnages principaux des films chinois, conçus par des citadins, projetés à des citadins. Le cinéma ignorait superbement cette masse énorme de plus de 300 millions de Chinois des campagnes qui représentaient plus de 80 p. 100 de la population et dont la turbulence devenait de plus en plus inquiétante.

Cinéma de combat

1931 marque un tournant: en septembre, les Japonais envahissent le nord-est du pays; au cours de l’été, les communistes ont créé dans les montagnes une république des Soviets de Chine; parallèlement, ils se livrent dans les villes à une intense agitation; ils sont particulièrement actifs dans les associations dites «de l’aile gauche» où les intellectuels de Shanghai se sont regroupés profession par profession l’année précédente. Elles seront autant de lieux de ferment patriotique après l’invasion japonaise.

À la pointe de l’action, les cinéastes ont, dès 1930, créé leur propre organisation, ramifiée dans toutes les sociétés de production shanghaiennes, malgré la censure gouvernementale instituée le 1er janvier; en février, le scénariste Hong Shen, formé aux États-Unis, intervient en pleine projection contre le film américain Welcome Danger , qui humilie les Chinois; née en juillet, la revue L’Art du film (qui cesse de paraître après le quatrième numéro) accuse les capitaux américains d’être responsables de la crise qui affecte le cinéma national. De fait, quatorze studios disparurent à Shanghai en 1935 alors que plusieurs avaient déjà été détruits en même temps que seize des trente-neuf salles de cinéma de la ville par le bombardement japonais du 28 janvier 1932; par dizaines, les sociétés cinématographiques déposaient leur bilan...

En dépit de toutes ces difficultés apparaissent, dès 1933, les premiers films ayant un contenu social accusé; ils mettent en scène toutes les classes de la population chinoise jusqu’alors ignorées des cinéastes. La première du Torrent impétueux de Chen Bugao, le 5 mars 1933, est particulièrement agitée, et le gouvernement réagit en établissant des listes noires de films interdits, en suscitant les raids terroristes de ses «Chemises bleues» sur les studios suspects, en procédant à des arrestations de cinéastes et à des suspensions de tournages. Sa répression s’exacerbe d’autant plus que ces films d’un type nouveau sont extrêmement populaires: quatre-vingt-quatre jours d’exclusivité en 1934 à Shanghai pour Le Chant des pêcheurs de Cai Chucheng! Aux films «sociaux» s’ajoutent en nombre croissant les films appelant à la résistance contre l’agression japonaise. Ils sont également victimes des rigueurs de la censure. Seule l’extension de la guerre va les légitimer, mais dans quelles conditions! Avec les prises de ces villes, les studios de Pékin et de Shanghai tombent en 1937 aux mains des Japonais qui les utiliseront à leurs propres fins, comme ils le font avec le studio de Changchun qu’ils ont bâti en 1933 dans le Nord-Est chinois (deux cents films réalisés jusqu’à leur défaite de 1945), comme ils le feront à Nankin. Le monde cinématographique chinois se disperse: certains de ses membres gagnent Hong Kong encore libre, d’autres créent des groupes de théâtre qui essaiment dans les campagnes. La production reprendra brièvement à Hankeou, puis Chongking, où se replie successivement le gouvernement devant l’avance ennemie. Il n’existe plus alors que six villes, comptant à peine une cinquantaine de salles, où les projections de films peuvent encore se poursuivre.

Au terme de leur Longue Marche, les communistes ont choisi pour capitale la petite ville de Yanan. En 1938, l’acteur et réalisateur Yuan Muzhi y crée un groupe cinématographique qui, en dépit de maintes difficultés, tourne en 1939 son premier long métrage, le documentaire Yanan et la VIIIe armée de route ; suivront une vingtaine de productions qui constituent autant de témoignages historiques précieux, maintes fois utilisés depuis pour des films de montage, tant en Chine qu’à l’étranger. C’est à Yanan que Mao Zedong définit en 1942 l’art et la littérature socialistes comme devant être avant tout «utilitaires» (au service des ouvriers, des paysans et des soldats).

Un nouvel âge s’ouvrit aux cinéastes avec la victoire des communistes sur le Guomindang et l’instauration, en octobre 1949, de la république populaire de Chine. Ils sont trois mille à travailler dans les trois studios d’État auxquels s’ajoutent, à Shanghai exclusivement, cinq studios privés, nationalisés trois ans plus tard. Le pays compte seulement cinq cent quatre-vingt-seize salles de projection et, à la fin de cette première année du nouveau régime, qui a vu la réalisation de six films de fiction, la fréquentation ne dépasse pas 47 310 000 spectateurs. Des films de transition apparaissent: ceux dont la police du Guomindang avait interrompu le tournage et que la chute de ce dernier, après celle des Japonais, a permis d’achever, tel le Corbeaux et moineaux de Chen Jiunli. D’autres ont en quelque sorte précédé l’événement puisque la libération du Nord-Est a rendu aux Chinois le studio de Changchun construit par les Japonais: dès 1947, les équipes venues de Yanan, de Xian et d’ailleurs ont commencé à y travailler: ils tournent d’abord des bandes d’actualités, puis naît le premier film proprement dit de l’époque nouvelle, Le Pont , belle épopée ouvrière qui donne déjà le ton de ce que sera le nouveau cinéma.

Cinéma d’État

Celui-ci dès 1952 est entièrement un cinéma d’État, placé sous la double tutelle d’un bureau cinématographique intégré au ministère de la Culture et de la section de propagande du comité central du Parti communiste. Le degré d’autonomie des divers studios variera selon les époques. Son efficacité se mesure à quelques chiffres: dès 1952, répondant au souci constant des autorités d’intéresser les populations rurales à la construction d’une société nouvelle, on a mis sur pied des centaines d’équipes mobiles de projection, surtout à destination rurale, ce qui porte à 2 282 le nombre des unités de projection (salles et équipes itinérantes) et à 600 millions celui des spectateurs. Très vite, l’hégémonie des films américains va disparaître; ils recevront le coup de grâce à la faveur de la guerre de Corée. La production nationale doit s’accroître d’autant pour satisfaire le nouveau public gagné au cinéma par la multiplication des équipes de projection et l’ouverture de nouvelles salles dont la fréquentation est favorisée par un prix d’entrée dérisoire (voire par la gratuité dans maintes zones rurales).

Depuis, l’histoire du cinéma chinois s’est déroulée par sauts et par bonds qui ne se sont pas toujours effectués en avant. On n’a jamais dépassé, avant 1984, une production annuelle de cent trois films de fiction comme en 1958, et plus de la moitié des studios (trente-trois) en activité cette même année ont disparu depuis, sans qu’on puisse toutefois parler de régression puisque l’industrie cinématographique représentait 400 000 emplois à la fin de 1979. Certains progrès ont été réalisés avec peu de retard sur l’évolution technique du cinéma mondial: la Chine produit en effet en 1953 son premier film en couleurs, en 1959 son premier film en cinémascope, l’année suivante son premier film stéréoscopique. Cette progression toutefois s’effectue en dents de scie. Si les difficultés économiques ne sont pas étrangères à ce phénomène, il faut surtout en chercher la responsabilité dans l’histoire politique agitée des trente dernières années. Le pouvoir politique a toujours porté un intérêt sourcilleux à la production cinématographique; il lui trace périodiquement, comme aux autres arts, des limites dans lesquelles on peut certes débattre des problèmes spécifiques à l’écriture cinématographique, mais la maîtrise de la technique et l’esthétique comptent moins que le contenu de l’œuvre, le politique prime tout. Il guide d’abord le choix du sujet: 75 p. 100 des six cent soixante-treize films de fiction réalisés de 1949 à 1966 (comparer ce chiffre avec celui de deux mille films tournés entre 1905 et 1949 selon le recensement de l’historien Cheng Jihua) s’inspirent de trois thèmes principaux: la révolution chinoise, la construction de la nouvelle société socialiste, l’histoire de la Chine. Remarquable permanence, au-delà des vicissitudes du cinéma chinois: ce sont les mêmes thèmes que souhaite voir traiter, dans les mêmes proportions, le vétéran Xia Yan – dont le rôle fut déterminant dans l’évolution du cinéma dès les années trente, mais aussi de 1949 à 1965 – lorsqu’il intervient pour la première fois publiquement après la révolution culturelle qui l’a cruellement persécuté (dans Cinéma populaire , févr.-mars 1979).

Aussi n’est-il pas étonnant qu’un film agisse comme révélateur des contradictions du parti ou, plus généralement, de la société, et qu’il déclenche une campagne politique démesurée au regard du sujet proprement cinématographique. Dès la deuxième année du nouveau régime, deux films ouvrent ainsi des débats de longue portée: La Vie de Wuxun et Histoire secrète de la cour des Qing , en raison des implications immédiatement contemporaines de leur sujet, bien qu’il soit emprunté à l’histoire. Il en sera de même de bien d’autres films, depuis Février, printemps précoce , accusé en 1964 de véhiculer une idéologie humaniste tolstoïenne, jusqu’à Amour amer , dont le scénariste, l’écrivain Bai Hua, se vit reprocher en 1981 de ternir la réalité socialiste. Mentionnons aussi la série télévisée «L’Élégie du fleuve Jaune» imputée à crime à ses auteurs en 1988-1989.

Le silence et la fureur

L’initiative du cinéaste déborde pourtant parfois ce cadre étroit, à la faveur d’une conjoncture politique qui permet davantage d’audace: en 1956, quand les créateurs sont incités à faire s’épanouir «cent fleurs»; dans les trois ou quatre premières années soixante, avant que Mao Zedong ne réagisse vivement en rappelant (1962) qu’il «ne faut jamais oublier la lutte de classes»; en 1978-1987, enfin... À ces courtes périodes de libéralisme relatif succède généralement un mouvement de rectification plus où moins brutal: la campagne antidroitière de 1957, la tempête politique de la révolution culturelle.

Celle-ci frappe, à peu d’exceptions près, l’ensemble des milieux cinématographiques, et principalement les vétérans, auxquels on reproche l’orientation politique qu’ils ont donnée au cinéma dès les années trente; ils seront battus, soumis à d’innombrables séances de critique, dénoncés à la vindicte du peuple, soumis au travail forcé dans des campagnes lointaines, jetés en prison où plusieurs trouveront la mort. La quasi-totalité des films réalisés avant 1966 seront bannis des écrans. Nombre de studios fermés, toutes les revues interdites, les cours interrompus dans les diverses écoles de cinéma; on fait table rase de toute l’histoire antérieure du cinéma sous la férule de Jiang Qing, ancienne actrice des premières années trente à Shanghai. Elle prétend créer un cinéma entièrement nouveau, à l’exemple du théâtre d’opéra auquel elle s’est attaquée dès 1964. Le résultat est maigre: sept films en six ans, qui tous reprennent des opéras bâtis sur des thèmes contemporains, selon des schémas strictement définis par elle.

Si une certaine normalisation s’amorce en 1972 et permet, avec le retour de plusieurs réalisateurs de talent, de tourner quatre films de fiction, les débats rebondissent en 1975 et 1976 à propos de plusieurs films nouveaux, les diverses lignes politiques s’affrontant alors par films interposés.

La crise se dénoue en octobre 1976 avec l’arrestation de Jiang Qing et de ses amis politiques. Une ère nouvelle s’ouvre. L’activité cinématographique reprend peu à peu sous toutes ses formes: revues, écoles, studios.

Débats et tensions

Dès 1977, on tourne ving-quatre films de fiction, puis quarante-six en 1978, soixante-cinq en 1979, année record pour l’audience, qui compte 29,3 milliards de spectateurs, puis quatre-ving-deux en 1980 et jusqu’à cent quarante-quatre en 1984. Leur nombre se stabilise autour de cent vingt par an à la fin des années 1980. Si la création, en mars 1980, d’une société d’étude du cinéma mondial semble annoncer une ouverture sur le monde extérieur, un an plus tard les cinéastes chinois sont officiellement mis en garde contre l’«imitation servile» des films étrangers, grief souvent repris plus tard contre les réalisateurs dits de la cinquième génération, pour la plupart sortis de l’Institut du cinéma de Pékin en 1982. Si la campagne contre le «libéralisme bourgeois», en 1983, n’incite guère les créateurs à l’audace, un véritable tournant s’amorce pourtant la même année dans l’histoire du cinéma chinois avec l’émergence de cette cinquième génération qui met en chantier ses premiers films, révélés au public en 1985.

La nomination du réalisateur Wu Tianming à la tête du studio de Xian (qui compte cinquante metteurs en scène), dont il fera un véritable phare de la production cinématographique en facilitant les premiers pas de plusieurs de ces jeunes espoirs, l’ouverture de nouveaux studios, tel celui de la province du Guangxi, le souffle nouveau qui en anime d’autres, comme le studio Emei de Chengdu, suscitent une émulation novatrice à laquelle les plus anciens resteront étrangers, voire hostiles. Ainsi le studio de Shanghai fait figure désormais de temple du classicisme conservateur. Nouveaux signes d’ouverture? En novembre 1984 se tient à Pékin un symposium inernational du cinéma; en décembre, les studios sont autorisés à diffuser eux-mêmes leur production sans passer par les organismes étatiques. Mais, devant les deux cents délégués d’une conférence nationale sur l’industrie cinématographique, le directeur du Bureau du film annonce que le public a diminué de deux milliards en trois ans. Trop de films, dit-il, sont monotones, non conformes à la réalité de la vie, stéréotypés: il faut «éradiquer» la tendance ultragauchiste, en finir avec les films-slogans que le public ne veut plus voir; la qualité doit l’emporter sur la rigueur politique. Ce sera aussi le maître mot du cinquième congrès de l’Association des cinéastes chinois, en avril 1985. La Chine compte alors, quatre-vingts ans après la sortie de son premier film, 182 948 «unités de projection». Mais quarante mille des cent cinquante mille équipes rurales disparaîtront dans l’année, qui est marquée par une perte de quatre millions de spectateurs dans les campagnes où la réforme économique bat son plein. Le développement de la télévision et de la vidéo contribue à cette désaffection.

En janvier, cependant, le vétéran Xia Yan (alors âgé de quatre-vingt-cinq ans) a proclamé: «L’âge d’or de la création cinématographique arrivera sous peu!» Tout permet de le croire avec la révélation de La Terre jaune du jeune Cheng Kaige au festival de Locarno (léopard d’argent), passé presque inaperçu lors de sa projection à Shanghai en septembre 1984. La cinquième génération fait son entrée dans l’arène internationale, malgré un certain ostracisme officiel à son égard, et la bouderie d’un public qu’elle déconcerte par son souci d’esthétique, sa dépolitisation, sa volonté affirmée d’en finir avec un conformisme et un académisme que le sexagénaire Xie Jin symbolisait à ses yeux, créant ainsi une véritable «rupture d’équilibre» dans la production cinématographique. Concurremment, les autorités suscitent des œuvres politico-historiques, parfois épiques selon l’inspiration traditionnelle depuis 1949. D’autres cinéastes estimables tournent des films où dominent l’intimisme, le romantisme, le naturalisme, autant d’«ismes» qui n’avaient antérieurement pas droit de cité. L’absurde (Dislocation de Huang Jianxin), une violence nouvelle (Le Sorgho rouge de Zhang Yimou), un regard nouveau porté sur l’amour et la guerre marquent également l’exploration de voies inédites dans le cinéma chinois.

Plusieurs de ces films font l’objet de chauds débats. Le plus âpre oppose publiquement de juillet 1986 à juillet 1987 la cinquième génération à Xie Jin. Le cinéma n’en semble pas moins bien se porter, à considérer le choix présenté en septembre 1987 à Pékin lors du premier festival de films chinois, qui réunit les œuvres de quelque soixante-dix metteurs en scène de toutes tendances, dont quatorze femmes (on compte six représentants de la cinquième génération). Or voici qu’en 1988 un seul mot rime avec cinéma: la crise. La désaffection du public s’accentue, accélérée par les progrès de la télévision (116 millions de récepteurs en octobre 1988) et de la vidéo. Les seize studios en activité, par souci de rentabilité, privilégient la production de films dits populaires, purement récréatifs, commerciaux: thrillers, films d’arts martiaux. Cela représente une tentation, mais une nécessité aussi pour les représentants les plus résolus de la cinquième génération dont la revue China’s Screen annonce la fin imminente dès le début de 1989.

Les événements tragiques de la place Tiananmen en juin 1989 accentueront la crise. Certains réalisateurs choisissent l’exil, les autres rencontrent de plus en plus de difficultés, que ne résolvent pas toujours le recours aux capitaux étrangers et le biais des coproductions. Les autorités multiplient les appels à faire des films qui «servent le peuple et le socialisme». La censure retient nombre de films dont le tournage avait pourtant été autorisé, d’autres sont interdits de sélection dans des festivals internationaux. Ceux de Venise et de Berlin, à l’été de 1991, distinguent pourtant respectivement des œuvres de Zhang Yimou (à l’unanimité) et de Tian Zhuangzhuang. Quelques chiffres traduisent ce marasme: une estimation de février 1991 chiffre à seize milliards le nombre annuel de spectateurs, soit une perte de près de 50 p. 100 en dix ans, dans les quelque 140 000 unités de projection qui subsistent, durement concurrencées par cinquante mille lieux publics de projection vidéo et l’extension du marché privé du magnétoscope (dix millions). Considérablement retardé par la conjugaison de tant de facteurs négatifs, l’âge d’or annoncé est encore à venir.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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